Identité numérique du chercheur : compte rendu de séminaire

Lors du séminaire Alec-SIC de ce vendredi 16 octobre, Hélène Piment a proposé une réflexion sur l’identité numérique du chercheur.
Cette dernière s’est déclinée en trois temps :

  • Une première partie a été consacrée à l’exploration de la notion d’identité dans ses dimensions psychologiques (Freud, 1987, cité dans Kaufmann, 2010, p. 25) et socio-anthropologiques (Goffman, 1974 ; Kaufmann, 2010). La discutante a insisté sur l’idée que l’identité relève d’un processus en mouvement perpétuel. Elle est en effet un produit des socialisations successives (Dubar, 2010, cité dans Kaufmann, 2010, p. 47), s’inscrit dans une histoire et un contexte. Pour prolonger la réflexion, Hélène a tissé des liens avec la théorie interactionniste d’Erving Goffman ainsi que celle de la reconnaissance développée par Axel Honneth.
  • La deuxième partie s’est concentrée sur l’articulation entre identité et numérique. Cette seconde notion fait référence aux données informatiques, l’information mathématique, qui codent l’information sociale (Jeanneret, 2007). Dans ce cadre, Coutant et Stenger ont démontré que l’ordre de l’interaction de Goffman est également observable sur des réseaux socionumériques (Coutant, Stenger, 2010). En effet, nous pouvons y remarquer des processus cérémoniaux similaires de valorisation de la face. De plus, l’identité numérique n’est jamais vraiment déconnectée de l’identité réelle d’un individu. Dans le numérique, l’interaction entraîne néanmoins un engagement identitaire plus prononcé du fait de l’absence de corps. Cette absence de relation en face à face nécessite une présence active sur les réseaux pour être visible, donc exister (Georges, 2009).
  • Enfin, la question de l’identité numérique du chercheur a été abordée. Le « chercheur » appelant plutôt la sphère professionnelle, son identité numérique a pour particularité de relever également des théories de la reconnaissance au travail. Or, d’après Christophe Dejours, la reconnaissance au travail doit provenir des pairs et ne doit pas porter sur l’individu en tant que tel mais sur le « faire », ses compétences professionnelles (Dejours, 2007). Quels moyens peut donc employer un jeune chercheur pour construire son identité numérique, dans ce cadre ? Un problème récurrent à l’identité numérique, qu’elle relève ou non du monde professionnel, a cependant été soulevé, qui est lié à la difficulté, inhérente à l’identité numérique, de ne pas pouvoir distinguer clairement différents contextes (Coutant, Stenger, 2010) : le parasitage éventuel de l’identité professionnelle par tous les autres signes identitaires en ligne qui sont liés à un individu. Quelques solutions ont été évoquées pour gommer ces signes « parasites » et obtenir ainsi une identité numérique professionnelle cohérente.

S’en est suivi un échange à propos des plateformes professionnelles de chercheurs en ligne (ResearchGate, Academia, etc.) et plus globalement sur les processus identitaires à l’œuvre dans l’espace numérique, dont d’éventuelles spécificités culturelles : les pratiques numériques professionnelles semblent en effet différentes, par exemple, dans le monde de la recherche au Brésil, en Inde ou en France.

Thomas BIHAY et Mathias VALEX

Références citées

COUTANT, Alexandre et STENGER, Thomas, 2010. Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les réseaux socionumériques. In : Les Enjeux de l’information et de la communication. 2010. Vol. 2010, n° 1, p. 45–64.

DEJOURS, Christophe, 2007. Psychanalyse et psychodynamique du travail : ambiguïtés de la reconnaissance. In : CAILLÉ, Alain (éd.), La quête de reconnaissance. Nouveau phénomène social total. Paris : La Découverte/M.A.U.S.S. p. 58‑71.

DUBAR, Claude, 2010. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : A. Colin.

FREUD, Sigmund, 1987. Essais de psychanalyse. Paris : Payot. Prismes, 7.

GEORGES, Fanny, 2009. Représentation de soi et identité numérique : Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0. In : Réseaux. 2009. Vol. 154, n° 2, p. 165‑193.

GOFFMAN, Erving, 1974. Les rites d’interaction. Paris : Editions de Minuit.

JEANNERET, Yves, 2007. Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.

KAUFMANN, Jean-Claude, 2010. L’invention de soi : une théorie de l’identité. Paris : Fayard/Pluriel.

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